Au cours de la dernière décennie, face à l'intégration croissante de l'IA (intelligence artificielle) dans nos différentes sphères d'activité et face aux nombreux enjeux que soulèvent les transformations profondes qu'elle provoque dans nos différents milieux de pratique, nous avons assisté à la prolifération des initiatives en éthique de l'IA. Plusieurs de ces démarches cherchent à établir un cadre qui permettrait d'assurer un développement et un déploiement responsable des systèmes d'IA dans nos sociétés. Or, bon nombre de ces approches ne rendent pas compte du contexte social, économique et politique spécifique dans lequel émergent les enjeux en éthique de l'IA, ce qui se traduit par ce que nous qualifions de déficit social. En effet, plusieurs propositions en éthique de l'IA s'appuient implicitement sur une conception instrumentaliste de la technologie, éludant ainsi la nature fondamentalement sociale de la technologie et présentant en ce sens ce que nous appellerons un déficit sociotechnique. Cette lacune, dans le contexte particulier où évoluent les SIA, caractérisé par une asymétrie des rapports de force, par la domination de la logique du libre marché et par l'idéologie du capitalisme de surveillance, risque de faire obstacle à la visée pratique de l'éthique de l'IA. Nous pensons que le développement d'une approche pragmatiste en éthique de l'IA, qui s'inscrirait dans le sillage des travaux de John Dewey, pour qui l'éthique constitue une entreprise foncièrement sociale, peut permettre d'éviter les écueils propres à la conception instrumentaliste de la technologie qui domine l'histoire de l'éthique et ainsi de repenser l'IA dans son contexte social. Le fait d'intégrer à la démarche éthique une analyse des obstacles structurels et sociétaux qui peuvent compromettre son application dans les pratiques permet d'envisager l'éthique de l'IA comme une « éthique située », démocratique et ouverte sur la multidisciplinarité.