Loin d'entretenir un rapport unilatéral à Sartre, Beauvoir s'inspire de multiples sources philosophiques très diverses, notamment de Kant, Husserl, Merleau-Ponty, Nietzsche, Bergson, Lévi-Strauss, mais aussi de Hegel[1]. Cette communication propose d'examiner la relation entre l'idéalisme hégélien et le féminisme existentialiste beauvoirien. L'usage féministe que fait Beauvoir de Hegel, alors qu'« on s'accorde généralement pour voir en Hegel un phallocrate dont la philosophie viserait à justifier rationnellement l'infériorité de la femme par rapport à l'homme[2]», peut paraître surprenant. Quelle est la dette de Beauvoir envers Hegel ? Répondre à cette question met en lumière la fécondité, voire l'actualité, de certaines thèses du philosophe spéculatif allemand. Le but de la conférence consiste donc à dégager un noyau hégélien de la pensée de Beauvoir, sans toutefois la réduire à ce dernier. Nous soutiendrons que cette dette s'enracine positivement dans la notion de reconnaissance, tirée de la dialectique « maître-esclave » du chapitre IV de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel, à partir de laquelle Beauvoir élabore sa conception de la femme comme l'Autre absolu. Mais si Beauvoir pense avec Hegel en mettant au cœur de sa pensée le rôle de la reconnaissance, elle pense surtout contre Hegel. Nous intégrerons ainsi d'une manière systématique, en parallèle à cette notion hégélienne qui l'a « frappée »[3] à un tel point qu'elle ne l'abandonnera jamais, les topos hégéliens qui parcourent Pour une morale de l'ambiguïté et le Deuxième sexe, tels que la philosophie de l'histoire, la fondation de la différence sexuée, le système et l'esprit absolu.
[1] Delphine Nicolas-Pierre, Simone de Beauvoir, l'existence comme un roman, Paris, Classiques Garnier, 2016, p.27.
[2] Jean-Baptiste Vuillerond, « Hegel féministe? », La vie des idées, publié le 7 février 2017, https://laviedesidees.fr/Hegel-feministe.html, [en ligne], (page consultée le 14 février 2022).
[3] Simone de Beauvoir, Journal de Guerre, 361.