Un canon bien connu domine l'histoire de la philosophie, composé d'auteurs réputés pour la richesse de leur pensée et la systématicité́ qu'ils ont donnée à leurs écrits. En excluant les auteurs qui ne se présentent pas comme philosophes, ou dont les écrits ne répondent pas aux critères de ce canon (systématicité́, rigueur logique, etc.), une quantité́ importante de réflexions philosophiques sont laissées de côté́ par la philosophie elle-même. Or, si la recherche en philosophie vise à identifier des propositions théoriques et conceptuelles originales, puis à les analyser et à en faire usage, il nous semble injustifié́ de laisser de côté́ un corpus théorique sous prétexte qu'il ne remplit pas ces critères de canonicité́. Cet enjeu est particulièrement criant en histoire de la philosophie politique, ainsi qu'en philosophie politique contemporaine. Dans ces domaines, la pensée d'un petit nombre d'auteurs est sans cesse étudiée, alors que celle d'un grand nombre d'acteurs politiques qui se sont proposés de théoriser leur pratique est négligée.
Afin de réfléchir à cet enjeu épistémologique en philosophie politique, nous construirons notre présentation autour de trois axes. Nous traiterons d'abord des problèmes engendrés par l'exclusion des écrits d'acteurs politiques pour la recherche en philosophie politique, et des raisons qui permettent de justifier leur prise en considération. Ensuite, nous exposerons la manière dont cette prise en considération peut se traduire en un véritable principe épistémologique. Enfin, nous discuterons, à l'aide d'exemples concrets issus de nos recherches respectives, des implications des deux premiers points pour notre compréhension de la philosophie et du politique.
Du principe vertueux « d'ouverture du corpus philosophique » à la réalisation concrète de celle-ci, le pas est grand à franchir. Notre objectif est de montrer pourquoi cela est nécessaire et de quelle manière nous tentons de le faire dans nos propres recherches.