Imaginez que vous souhaitez étudier l'épistémologie des partis politiques québécois. Vous cherchez donc à comprendre comment les croyances qui informent leurs décisions sont acquises et justifiées, ainsi que comment elles devraient l'être. Avec les méthodes philosophiques appliquées traditionnelles, vous pourriez analyser des documents publics, des débats à l'Assemblée nationale, des prises de position publiques, etc. Mais au terme de ces analyses, vous seriez probablement insatisfait·e·s. Certes, vous auriez une bonne idée des positions des partis et de leurs interactions, mais vous auriez peu à écrire sur les processus qui informent leurs décisions et sur les tensions et injustices invisibles qui les influencent.

Pour pallier ces problèmes, vous pourriez mener des entrevues, observer ou échanger avec les membres des partis pour comprendre les récits, relations et mécanismes internes qui influencent leurs décisions et connaissances. Je soutiens que ces méthodes « de terrain » devraient être utilisées en épistémologie sociale appliquée.

Mon argumentaire se déploie en deux temps. Dans un premier temps, je démontre que l'amélioration des pratiques épistémiques est une tâche propre à l'épistémologie et que la justice épistémique permet, entre autres, d'améliorer ces pratiques. Dans un second temps, je démontre que le recours aux méthodes de recherche qualitative en épistémologie sociale appliquée permet de favoriser la justice épistémique de deux manières : (i) en valorisant et crédibilisant des témoignages marginalisés, et (ii) en améliorant les ressources herméneutiques collectives de tout le monde.

Je démontre également comment ces deux aspects permettent d'éviter des injustices futures, notamment en améliorant les intuitions des philosophes de terrain. Cela peut avoir plusieurs impacts positifs sur la discipline, notamment d'enrichir et de rendre plus applicables et pertinentes les théories qui en ressortent.